VI
UNE AFFAIRE RONDEMENT MENÉE

La brise emporta le panache de fumée à travers la dunette et Bolitho sentit ses yeux le piquer désagréablement. Il aperçut les pièces qui reculaient violemment dans leurs palans, les longues flammes orangées qui jaillissaient dans les tourbillons de neige. Le fracas des départs l’avait à moitié assourdi. Les six-livres du gaillard d’arrière y ajoutèrent leur chanson plus aiguë. La plupart de leurs boulets tombèrent soit trop court, soit trop long, mais quelques-uns atteignirent tout de même leur but.

Les servants écouvillonnaient comme des fous, approvisionnaient charges neuves et boulets avant de se jeter de tout leur poids sur les palans.

Le capitaine français n’avait pas encore riposté une seule fois.

Tous les chefs de pièce avaient le bras levé ; le second hurla :

— Parés ! Feu !

Bolitho mit la main en visière pour mieux observer l’épais panache de fumée qui dérivait vers l’autre bâtiment. Ils étaient en route convergente, mais l’Ajax, légèrement plus lourd, envoyait ses cacatois pour essayer de gagner de l’eau.

Il y eut une grande clameur, le grand mât de hune de l’Ajax vacilla et commença à tomber. Le vent s’engouffrait dans les trous faits par les boulets et la misaine se déchira en deux comme un vieux sac.

L’ennemi répliqua enfin. Il se trouvait peut-être à une encablure, sa bordée était mal conduite et médiocrement pointée, mais Bolitho sentit nettement le métal s’écraser dans la coque du Styx. Un boulet perdu tomba derrière lui, presque à ses pieds. Le pont trembla comme s’il venait de recevoir un gigantesque coup de marteau, mais les servants de Neale eurent à peine l’air de s’en apercevoir.

— Vérifiez les lumières ! Ecouvillonnez ! Chargez !

Les séances d’entraînement, la répétition des gestes, les menaces, tout cela avait servi.

— En batterie !

La fumée monta en tourbillons entre les deux vaisseaux, le centre du nuage brillait de lueurs rouge et orange qui le faisaient paraître vivant. Les boulets s’écrasèrent contre la muraille du Styx au moment même où il crachait sa propre bordée.

Une pièce bascula, Bolitho vit quelques-uns de ses servants qui se tordaient sur le pont en laissant derrière eux des tramées sanglantes. Des trous apparaissaient dans les voiles, un boulet passa au-dessus de la dunette à quelques pas de lui.

Neale arpentait le pont, surveillant alternativement la barre, les voiles, ses canonniers, bref, ayant l’œil à tout.

— Feu !

Criant, vociférant, les hommes se jetèrent une fois encore sur leurs pièces, s’arrêtant à peine pour voir où leurs coups avaient frappé avant de recharger.

Bolitho gagna l’arrière en glissant dans la bouillasse. Il leva sa lunette à la recherche du dernier de leurs adversaires. Il était toujours à l’ancre, mais ses ponts grouillaient de marins. Il ne faisait rien pour mettre à la voile ni même pour seulement mettre son artillerie en batterie, Déplaçant légèrement son instrument, il distingua le pavillon bleu et blanc de Russie, Avant toute chose, le tsar voulait être considéré par Napoléon comme un ami fidèle et un allié. Ce capitaine avait apparemment des vues différentes et il était probablement encore estourbi par la brutalité de l’attaque du Styx.

Un boulet vint s’écraser derrière lui dans les filets, il entendit monter des cris et des hurlements. Le rang de fusiliers qui pointaient leurs mousquets par-dessus les hamacs, prêts à ouvrir le feu, n’était plus qu’un magma sanglant. Certains se tramaient, d’autres titubaient au milieu de la fumée. De l’autre bord, deux d’entre eux étaient réduits à l’état de bouillie sanglante.

Leur sergent criait :

— Reformez les rangs ! Face au but !

Le lieutenant de fusiliers était adossé au pavois, la tête dans les mains. Des mains aussi rouges que sa tunique.

— Amiral, lui cria Neale, le français a retrouvé ses esprits ! Il tire des boulets à chaîne !

Bolitho essaya de se faire rapidement une idée de ce qui se passait. Le combat ne durait que depuis quelques minutes, qui lui avaient paru une éternité. Les bâtiments marchands, serrés les uns contre les autres, n’avaient pas bougé, mais de minuscules silhouettes s’activaient le long des vergues et sur les passavants. Les hommes poussaient-ils des cris de joie ou appelaient-ils à l’aide, on ne savait trop.

En surprenant son coup d’œil, Neale lui suggéra :

— Je vais envoyer le canot, amiral. Ces pauvres bougres n’ont peut-être plus d’officiers pour diriger leur fuite.

Bolitho approuva d’un signe. Tandis que des matelots se ruaient sur le canot, il dit à Browne :

— Allez-y avec eux.

Il lui donna une grande claque sur l’épaule en espérant qu’il était vraiment aussi détendu qu’il en avait l’air. Mais cette épaule était tendue comme un ressort de voiture et il ajouta doucement :

— Le commandant Neale a de quoi s’occuper ici.

Browne s’humecta les lèvres, ferma les yeux en entendant de nouveaux boulets qui venaient s’écraser contre la muraille en arrachant des éclis meurtriers. Un homme, le bras déchiqueté, s’effondra sur le pont.

— Très bien, amiral, répondit enfin Browne en se forçant à sourire. Je vais avoir droit à un joli spectacle !

Un peu plus tard, le canot poussait en direction des bâtiments marchands. Quelqu’un avait eu la présence d’esprit de frapper les couleurs britanniques au-dessus du tableau.

L’Ajax se rapprochait toujours, ses sabords crachaient leur feu à intervalles réguliers. Mais le vent le maintenait à une certaine distance et la plupart de ses boulets passaient par-dessus le passavant du Styx en faisant tomber des morceaux de cordage et des poulies arrachées à leurs estropes qui s’écrasaient comme des fruits mûrs. En se tournant vers le pont principal, Bolitho aperçut le pantalon blanc de Pascœ qui disparaissait dans la fumée et la neige. L’officier dirigeait toujours le tir des pièces avant.

Les bordées se faisaient de plus en plus irrégulières. Assourdis par le vacarme de tonnerre, les hommes avaient du mal à conserver la cadence.

Des morts et des blessés jonchaient le pont, leurs camarades essayaient de les tramer hors de la trajectoire des affûts, le visage de marbre, déterminés et choqués à la fois.

Un concert de cris éclata soudain sur le gaillard d’avant, Bolitho vit le mât de misaine du français se briser comme une carotte. Les vergues s’effondrèrent en bloc, entraînant avec elles un fouillis de toile et de manœuvres. Plusieurs de ceux qui y étaient perchés plongèrent par-dessus le gaillard. En dépit du vacarme, il entendit distinctement le grand craquement, on eût dit une falaise qui s’effondrait et le résultat ne se fit pas attendre. La plus grosse partie du mât de hune resta à flotter contre le flanc en traînant son haubanage qui faisait comme de grandes algues. Sous l’effet de cette énorme ancre flottante, la frégate commença à pivoter dans le lit du vent.

Neale mit ses mains en porte-voix, son sabre pendait à son poignet par la dragonne.

— Une bordée complète, monsieur Pickthorn ! hurla-t-il. Double charge, et à mitraille pour faire bonne mesure !

L’Ajax dérivait irrémédiablement malgré les efforts de ses hommes pour dégager le fouillis qu’il remorquait. Son avant pointait maintenant sur la batterie de Neale. A présent, il n’y avait plus à craindre, la double charge n’allait pas les mettre en caleçon, se dit Bolitho. Les pièces étaient si chauffées qu’il avait l’impression de se trouver près d’un four grand ouvert.

Un vieux chef de pièce soupesait soigneusement un boulet avant de le confier à ses chargeurs. Cette fois-ci, le tir devait être parfait.

Neale grimpa dans les enfléchures sous le vent, arracha son porte-voix à son second et cria :

— Amenez votre pavillon ! Rendez-vous !

Sa voix était presque suppliante, mais il n’eut pour toute réponse qu’une volée de balles de mousquet. Un coup de feu fit même résonner son sabre comme une cloche.

Il redescendit, le regard vide, et se tourna vers ses chefs de pièce qui attendaient, main levée.

— Tant pis.

Il regarda son second, lui fit un bref signe de tête.

La bordée partit dans un fracas de tonnerre, l’avant d’abord et jusqu’à l’arrière, une pièce après l’autre. Le Styx passait lentement derrière la figure de proue de l’ennemi, le résultat fut terrible. Des débris volaient de toutes parts, le grand mât tomba pour aller rejoindre les autres espars qui flottaient le long du bord. Bolitho crut même voir les bossoirs sauter en l’air sous l’impact de cette énorme masse de fer, un jeune aspirant horrifié mordait convulsivement sa manche. Des ruisseaux de sang dégoulinaient par les dalots de l’Ajax, comme si c’était lui qui était en train de périr et non son équipage.

Un officier marinier cria :

— Les bâtiments marchands lèvent l’ancre, amiral !

A l’entendre, on comprenait qu’il n’y croyait pas lui-même.

Bolitho lui fit signe qu’il avait entendu, tout en gardant les yeux rivés sur la frégate. Elle était défaite, mais ses couleurs flottaient toujours et son expérience lui disait qu’elle survivrait pour retourner au combat, plus tard.

Il devina que Neale et ses hommes avaient encore assez d’énergie pour s’emparer de l’Ajax. Ils avaient cependant énormément payé de leur personne, bien plus qu’il n’avait osé espérer. Aller au-delà, défier le pouvoir des autorités suédoises et la neutralité de ce vaisseau russe, aurait été outrepasser les limites de la décence.

Il se tourna du côté des bâtiments marchands, six en tout. Les équipages s’activaient à établir les voiles et se dirigeaient vers la petite frégate qui arborait ses quatre pavillons, tout en essayant d’éviter la collision.

Neale essuya son visage noir de fumée.

— Votre aide de camp ne sera plus tout à fait le même, amiral, j’en ai bien peur – il soupira comme on évacuait un blessé à côté de lui. Ni nous non plus…

Il se détourna pour regarder un bâtiment marchand qui passait par le travers. Le passavant bâbord était bourré d’hommes qui poussaient des vivats.

— Et voilà, conclut-il, nous avons fait ce pour quoi nous étions venus, amiral. Je pense qu’il serait honnête que nous partagions quelques-uns de leurs meilleurs matelots. C’est bien le moins qu’ils puissent faire pour nous manifester leur gratitude !

Pascœ arrivait et les salua. Il attendit le départ de Neale qui devait s’occuper des problèmes innombrables qui l’attendaient.

— Voilà une affaire rondement menée, amiral !

Bolitho posa sa main sur son épaule.

— Moins de vingt minutes, je n’arrive pas à y croire. Le commandant Neale est un sacré marin.

Pascœ, sans le regarder, esquissa un sourire.

— Mais, mon oncle, je crois qu’il a beaucoup appris à son premier embarquement !

 

Mr. Charles Inskip faisait d’incessants allers et retours dans cette pièce haute de plafond, comme si elle n’était pas assez grande pour lui. La perruque qu’il avait mise pour essayer d’ajouter un peu de dignité à son autorité était toute de travers.

— Mais bon sang, Bolitho, que voulez-vous que je fasse avec un individu comme vous ? – et, sans seulement attendre la réponse : Vous abusez de la neutralité des Danois, vous vous échappez de nuit pour monter une expédition sans queue ni tête, et maintenant, vous voilà de retour à Copenhague ! Vous n’avez même pas eu assez de bon sens pour aller voir ailleurs !

Bolitho attendait que le grain fût passé. Il comprenait certes qu’Inskip n’appréciât guère le rôle qu’il l’avait contraint à jouer, mais n’éprouvait absolument aucun regret d’avoir rendu la liberté à ces bâtiments. A cette heure, ils étaient en train d’embouquer les détroits pour gagner la mer du Nord. La simple idée qu’il aurait pu les laisser entre les mains du tsar, qui les aurait ensuite donnés aux Français en cadeau ou comme moyen de chantage, lui était insupportable. Et il aurait été encore plus cruel de laisser leurs équipages croupir dans un camp ou périr de froid dans ces contrées inhospitalières et glacées.

Il répondit d’une voix impassible :

— C’était là le moins que je puisse faire, monsieur. Les bâtiments marchands n’ont aucune raison de craindre une attaque danoise. On s’est emparé d’eux d’une manière inexcusable, tout comme ces navires danois dont nous nous sommes saisis cette année. Mais, si je n’étais pas revenu mouiller ici et que je sois allé traîner mes basques sous les batteries côtières du Sound, j’aurais provoqué un véritable désastre.

Il repensa soudain à ce retour. Nul n’avait eu le temps de les précéder, la rumeur s’était pourtant déjà répandue, En dépit du froid cinglant, le front de mer était rempli d’une foule silencieuse de citadins. Un peu plus tard, après que le major général leur eut donné la permission d’effectuer des réparations et d’enterrer les morts, quelque chose qui ressemblait à un grand soupir avait échappé aux spectateurs.

Mais Inskip semblait ne pas l’entendre.

— Que l’un de vos capitaines se soit livré à une action de cette sorte, j’aurais encore pu le comprendre. Mais un amiral, commandant une escadre, c’est vraiment trop fort ! Ce que vous représentez ici, c’est le roi et le Parlement !

— Voulez-vous dire qu’un vulgaire capitaine pourrait être démis, qu’on le ferait passer en cour martiale si les choses tournaient mal pour lui, monsieur ?

Inskip s’arrêta.

— Eh bien quoi ? Vous connaissez les risques du commandement comme sa récompense !

Bolitho savait que cette discussion ne menait à rien.

— Qu’importe, je souhaite faire passer un message à mon capitaine de pavillon, si c’est possible. Je lui ai dit que je risquais d’être absent pendant une semaine. Nous y sommes.

— Allez au diable, Bolitho, répondit Inskip. Je n’ai pas dit que vous ne deviez pas faire ce que vous aviez décidé, c’est la méthode que je conteste – il eut un sourire amer. J’ai déjà envoyé un message à votre escadre. Je ne peux pas imaginer, fit-il en hochant la tête, ce que le Parlement va en dire, ou le Palais, ici même, mais j’aurais donné beaucoup pour vous voir délivrer ces marchands ! Mon assistant s’est déjà entretenu avec le commandant Neale. Ce jeune homme lui a dit que le Styx avait balayé l’ennemi en moins de trente minutes !

Bolitho se souvint de ce que disait Herrick : « Ce sont les hommes qui gagnent des batailles, pas les bâtiments. »

— Exact, monsieur, je n’ai jamais vu une frégate mener une affaire aussi rondement.

Inskip le regardait tranquillement.

— J’ai le sentiment que vous avez été plus qu’un spectateur – il s’approcha de la fenêtre et se pencha vers la place : La neige s’est arrêtée, remarqua-t-il, avant d’ajouter négligemment : Préparez-vous à rencontrer l’adjudant-major général au cours de votre séjour. Peut-être ce soir. En attendant, vous êtes mon invité.

— Et le bâtiment, monsieur ?

— Je suis certain qu’on le laissera partir lorsque les réparations seront faites. Mais…

Le mot resta suspendu, il se tourna vers Bolitho :

— Votre séjour à vous risque de se prolonger si les Danois exigent que je vous remette à eux.

Il se frotta les mains, un valet de pied de la plus grande élégance entra avec un plateau.

— Pour le moment, portons un toast à votre… euh… victoire, n’est-ce pas ?

Plus tard, lorsque le lieutenant de vaisseau Browne fut venu les rejoindre, Bolitho dicta son rapport : la découverte des lieux, l’attaque de la frégate française. Il laissait aux autorités compétentes le soin de tirer leurs propres conclusions et de décider s’il avait eu raison ou tort d’agir de la sorte.

Mais l’écheveau n’allait pas être facile à démêler. On avait laissé le bâtiment français s’occuper des navires capturés dans les eaux suédoises, sous l’œil d’un vaisseau du tsar.

Il s’assit et regarda Browne dans les yeux.

— Ai-je oublié quelque chose ?

Browne le regarda plusieurs secondes sans rien dire.

— Je crois, amiral, que moins vous en direz par écrit, mieux cela vaudra. J’ai eu le temps de réfléchir depuis que je suis monté à bord des bâtiments marchands, de me mettre dans la situation de qui aurait dû agir et non se contenter de souffler la conduite à tenir. Vous avez remporté une bataille, pas de quoi certes changer la face du monde, mais assez tout de même pour réjouir nos compatriotes restés au pays. Ils ont horreur de voir des gens ordinaires, des gens comme eux, capturés et humiliés par une puissance étrangère. Cela dit, d’autres risquent de se montrer moins aimables avec vous, amiral.

— Poursuivez, Browne, lui dit Bolitho en souriant, je vous écoute avec la plus grande attention.

— L’amiral Damerum, amiral, continua Browne, Cela ne va pas lui plaire. Certains risquent de le prendre pour un imbécile ou pour un homme qui manque du courage nécessaire dans les petites choses comme dans les grandes – il eut un sourire gêné, comme s’il était allé trop loin. Ainsi que je vous l’ai dit, amiral, j’aurais eu le temps d’échanger ma place pour rejoindre les puissants, alors que je suis parti. Franchement, je suis heureux d’être lieutenant de vaisseau et de remplir des fonctions privilégiées.

Bolitho se frottait le menton en contemplant son sabre d’honneur posé sur un fauteuil. Ce présage s’était révélé faux. Il avait eu raison d’agir et, même si quelques-uns des hommes de Neale s’étaient fait tuer, cela en valait la peine. Comme Browne venait de le souligner, ce n’était pas là une grande bataille, mais cela ne ferait pas de mal à leur amour-propre et montrerait à tous que, même isolée, l’Angleterre n’hésitait pas lorsqu’il s’agissait de défendre les siens.

Une heure plus tard, il se rendit en voiture au Palais avec Inskip.

Il était tard, les rues étaient quasi vides. Cela ressemblait plus à un assassinat qu’à une enquête, songea-t-il. Allday l’avait supplié de l’emmener avec lui, mais Inskip s’était montré intraitable : « Vous venez seul, Bolitho. C’est un ordre. » Et il n’avait pu s’empêcher d’ajouter : « Vous allez voir, vous aurez du mal à faire admettre vos exigences à celui à qui nous rendons visite ! »

Ils passèrent une succession de porches, puis la voiture s’arrêta devant une entrée modeste.

Ils secouèrent la neige de leurs semelles et on leur fit franchir plusieurs portes. Là, ils pénétrèrent dans un autre univers. C’était un spectacle de conte de fées ; des chandeliers brillaient de tous leurs feux, de grandes toiles étaient accrochées aux murs. On entendait de la musique, des voix féminines. L’endroit respirait le pouvoir, le confort le plus exquis.

Ce n’était rien à côté de ce qui les attendait. On les introduisit dans une petite pièce, joliment décorée. Un feu brûlait dans la cheminée, les murs étaient couverts de livres.

Un homme les attendait là. Il était aussi élégant que la pièce ; vêtu de velours bleu, avec des manchettes dorées qui montaient jusqu’aux coudes, il donnait l’impression de quelqu’un qui prend son temps et n’agit jamais ni à la hâte ni sans une certaine dignité.

Tout en gardant soigneusement son visage dans la pénombre, il examina longuement Bolitho. Il se lança enfin :

— L’adjudant général ne peut vous recevoir, il est parti sur le continent.

Il parlait pour ainsi dire sans accent, d’une voix aussi douce que l’atmosphère de la pièce. Il poursuivit :

— Amiral, c’est moi qui vais régler cette affaire. Je suis son adjoint et je connais parfaitement le dossier.

— Le fait est, monsieur, commença Inskip, que…

Leur interlocuteur l’interrompit en levant la main, comme un prêtre donne sa bénédiction. Inskip se tut.

— Laissez-moi vous dire ceci. Vous venez de libérer six navires anglais. De leur côté, ils vous ont sauvés en étant là où ils étaient. Si vous aviez attaqué un vaisseau français dans les eaux Scandinaves, et quel que soit le contexte, n’en doutez pas, ni vous ni votre bâtiment n’auriez revu l’Angleterre de longtemps. Vous êtes en guerre contre la France, non avec nous. Mais il nous faut exister dans un monde qui a été mis sens dessus dessous par Londres et Paris. Nous n’hésiterons pas une seconde à dégainer pour protéger ce à quoi nous tenons – sa voix se radoucit : Je ne veux pas dire que je ne vous comprends pas, amiral. Je vous comprends, sans doute mieux que vous ne croyez.

— Merci de votre compréhension, monsieur, lui répondit Bolitho. Nous sommes une race qui vit sur une île. Depuis mille ans, nous devons nous défendre contre des envahisseurs. Les gens qui font la guerre oublient souvent le reste et je vous prie de m’en excuser, monsieur.

L’homme se tourna vers le feu et lui répondit aimablement :

— Je crois me souvenir que mon propre peuple a envahi votre pays à plusieurs reprises par le passé ?

— C’est exact, monsieur, répliqua Bolitho en souriant. On prétend chez nous que les filles qui habitent la côte nord-est tiennent leurs cheveux de lin des envahisseurs vikings !

Inskip se racla nerveusement la gorge.

— S’il en est ainsi, monsieur, puis-je emmener le contre-amiral Bolitho avec moi ?

— Je vous en prie, faites – il ne leur tendit pas la main. J’ai souhaité vous rencontrer, afin de voir quelle sorte d’homme vous êtes – puis, avec un bref signe de tête : J’espère que, si nous devons nous rencontrer plus tard, ce sera dans des circonstances plus heureuses.

Bolitho, encore tout étourdi par la scène, suivit Inskip et les deux valets de pied qui les reconduisirent par le même chemin.

— Je crois que les choses auraient été pires avec son supérieur, fit-il. Il me semble que cet homme-là n’avait qu’une seule envie, me voir disparaître de son pays.

Inskip prit le manteau que lui tendait un valet et attendit dans le froid devant la porte.

— C’est bien possible, Bolitho, répondit-il en faisant la grimace. Il s’agissait du prince héritier en personne.

Il hocha la tête et se dirigea vers la voiture.

— Décidément, Bolitho, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre !

 

Sa coiffure sous le bras, le capitaine de vaisseau Neale entra dans la pièce.

— J’ai pensé que vous souhaiteriez être informé de ceci, amiral. Nous avons paré le Sound et sommes entrés dans le Kattegat – il paraissait fatigué mais soulagé. Les bâtiments d’escorte, ajouta-t-il, nous ont laissés là et ont fait demi-tour.

Bolitho se leva et se dirigea vers les fenêtres de poupe, La neige avait complètement cessé, la mer était gris sombre, hostile. Les Danois n’avaient pris aucun risque. Le Styx avait été suivi par deux frégates depuis le moment où elle avait levé l’ancre. Lorsque la voiture de Bolitho était arrivée à la jetée, celui-ci avait aperçu des soldats qui manœuvraient des pièces près de la forteresse. Si ce n’était pas une menace, c’était à tout le moins un avertissement.

— Merci.

Bolitho entendait le claquement lancinant des pompes, le bruit étouffé des marteaux et des scies. L’équipage poursuivait les réparations rendues nécessaires par leur bref mais rude engagement.

Cela signifiait que le Styx allait devoir rentrer en Angleterre pour y subir un carénage plus consistant. Il l’avait bien gagné, et son équipage avec lui.

— Je crois que je vais me sentir complètement perdu à bord du vaisseau amiral, comme un cheval dans un pré trop vaste – et, redevenant sérieux : J’ai rédigé un rapport détaillé que vous porterez en Angleterre. Le rôle que vous avez joué dans l’affaire y est souligné à l’intention des plus hautes autorités.

— Je vous en remercie, amiral, répondit Neale, tout réjoui.

— Et maintenant, je vous laisse en paix, vous allez pouvoir exercer votre commandement à votre convenance et me ramener à l’escadre le plus vite possible.

Neale s’apprêtait à se retirer, mais se ravisa.

— Mon second est ravi des nouveaux matelots que nous avons prélevés à bord des bâtiments marchands, amiral. Ce sont tous des marins de premier brin, encore qu’ils ne sachent pas trop ce qui leur arrive et se demandent s’ils n’ont pas échangé un enfer pour un autre.

Le lendemain matin, alors que Bolitho terminait un petit déjeuner qualifié par Ozzard de bon pour un prisonnier de guerre, et encore, Neale descendit le prévenir que ses vigies avaient signalé une voile, reconnue immédiatement pour être la frégate L’Implacable.

Avant même d’émerger de l’horizon, L’Implacable avait envoyé des signaux qui furent relayés au reste de l’escadre par la corvette La Vigie.

Bolitho imaginait leurs sentiments. Les patrouilles de Herrick avaient dû lui indiquer la présence des navires marchands délivrés et il avait certainement deviné ce qu’ils ne lui avaient pas dit.

C’était la première opération réelle de son escadre, un événement que les hommes pourraient raconter en se vantant à loisir, les jours où le mauvais temps vous jette à bas et que la nourriture est trop infecte pour seulement mériter qu’on en parle.

Un peu plus tard, en montant sur le pont, Bolitho remarqua qu’Allday l’avait précédé avec son coffre, comme s’il avait hâte lui aussi de regagner le Benbow.

Il aperçut également Pascœ et ce petit aspirant, Penels, côte à côte sur le passavant bâbord, qui commentaient le spectacle des bâtiments. L’escadre au mouillage grandissait à la vue, Pascœ se retourna et lui montra quelque chose, l’air médusé.

— Passez-moi une lunette, demanda Neale.

Il la pointa sur l’autre frégate qui virait gracieusement et se dirigeait vers l’escadre.

— Le commandant Herrick se prépare à lever l’ancre, ce me semble.

Il tendit son instrument à Bolitho et attendit sa réaction.

Bolitho leva la lunette : la coque du Benbow brillait, le bâtiment se balançait mollement au bout de son câble. Neale avait raison. Les voiles étaient sommairement ferlées et non rabantées comme il aurait pu s’y attendre. Le câble était viré à pic, comme ceux des autres deux-ponts. Il ressentit une inquiétude soudaine, mais réussit à garder son calme :

— Soyons patients.

Neale eut un signe de tête dubitatif puis ordonna :

— Faites envoyer les cacatois, monsieur Pickthorn. Nous sommes pressés !

 

L’aspirant chargé des signaux à bord du Benbow laissa retomber sa lunette et annonça :

— L’escadre a levé l’ancre, amiral !

Bolitho se retint aux filets de branle et observa le premier puis le second bâtiment prendre le vent, voiles faseyant. Wolfe, le second, faisait la plus grosse partie du travail sur la dunette, ce qui n’était pas vraiment le genre de Herrick et donnait une idée de son anxiété.

Bolitho n’avait pas franchi la coupée depuis un quart d’heure – quinze minutes d’agitation et de confusion. Les matelots s’étaient précipités sur les vergues ou aux bras et aux drisses comme s’ils avaient reçu consigne de se tenir parés dès qu’il apparaîtrait.

Entre deux de ses multiples tâches, Herrick lui avait dit : « Un brick est arrivé de la flotte du Nord avec du courrier, amiral. Son commandant avait des dépêches pour l’amiral Damerum, mais son escadre était déjà repartie, naturellement. » Il s’était un peu détendu en ajoutant : « Mon Dieu, c’est bon de vous avoir de nouveau parmi nous, amiral. Je ne savais vraiment plus que faire. »

Peu à peu, bribe après bribe, entre les interruptions exaspérantes pendant lesquelles Herrick devait ordonner un changement d’amures ou une réduction de toile alors que l’escadre prenait sa formation en ligue de file, Bolitho avait appris ce qui s’était passé. Il n’avait pas interrompu ni pressé Herrick une seule fois. Il voulait entendre ses mots à lui et non se faire servir un discours tout préparé. Une chose se dégageait de tout le reste. Une escadre française était sortie de Brest avant de s’évanouir dans la nature. On savait qu’elle était sous les ordres du vice-amiral[1] Alfred Ropars, officier compétent et volontaire. Il avait tiré parti du mauvais temps mais, mieux encore, avait envoyé deux de ses frégates attaquer sous couvert de l’obscurité le seul bâtiment britannique en patrouille assez près de terre pour voir ce qui se passait et s’en emparer. Bolitho songeait à ce que disait Inskip de l’autorité et du poids réel d’un commandant. Celui de la frégate qui s’était laissé capturer avait tout perdu : ses succès antérieurs, sa carrière, tout était sacrifié, effacé d’un coup.

Mais Bolitho savait fort bien comment ce genre de chose arrivait. A force de ratisser l’océan dans tous les sens, quel que soit le temps, le vent ou l’état de la mer, les bâtiments éreintés des escadres de blocus devenaient trop confiants en eux-mêmes, trop certains que les Français resteraient au port plutôt que de risquer le combat.

Ropars avait parfaitement choisi son heure. A l’aube, après la capture de ce bâtiment en patrouille, les siens étaient dehors et déjà loin.

Le brick n’avait guère d’autre information à leur fournir, à l’exception d’une seule : Ropars avait fait route au nord. Ni à l’ouest, en direction des Antilles, ni au sud vers la Méditerranée, non, au nord.

Herrick était très abattu.

— Avec l’escadre de l’amiral Damerum relevée par la vôtre, moins forte, et vous parti, comme je le croyais, à Copenhague, j’étais partagé. L’Amirauté pense que Ropars est parti soutenir une invasion puis une révolte en Irlande. Notre flotte est éparpillée au possible, ce pourrait être le moment d’essayer.

Bolitho hochait la tête tout en réfléchissant.

— Il y a cinq ans, j’étais capitaine de pavillon de Sir Charles Thelwall, à bord de l’Euryale. J’y ai vu des choses ignobles. Cette fois-là aussi, les Français avaient fait une tentative. Ils peuvent aussi bien recommencer, Thomas.

Herrick dut se protéger les yeux pour observer quelques gabiers qui grimpaient au mât de perroquet pendant que les voiles se gonflaient violemment.

— Mais, continua-t-il, j’ai décidé que je ne serais utile à rien en me dirigeant vers l’Irlande, amiral. Nous avons trop peu de bâtiments – il regarda Bolitho droit dans les yeux. De toute manière, vous êtes mon amiral, amiral.

Bolitho se mit à sourire. Il était à Copenhague, prendre cette décision avait dû être dur pour Herrick. S’il avait fait le mauvais choix, sa tête serait sur le billot, fidélité à son amiral ou pas.

Il répondit avec chaleur :

— Voilà qui est bien parlé, Thomas. Souvenez-vous de ce que je vous dis, vous ne traînerez pas à voir votre marque flotter en tête de mât.

— Çà, grimaça Herrick, je ne vous en remercie pas, amiral !

Mais il revint à leur sujet.

— Cet amiral français dispose d’une escadre, rien de plus. Voilà ce que nous savons. Je parie que tous les bâtiments disponibles de la flotte de la Manche surveillent les ports de l’ennemi, au cas où les Français essaieraient d’envoyer des renforts à Ropars.

Bolitho desserra les mains de dessus le filet. On se réhabituait vite à un nouveau type de mouvement, à passer des plongeons brutaux d’une frégate au balancement lent et lourd d’un vaisseau de ligne.

— Eh bien, Thomas ? J’attends la suite.

Herrick se mordit la lèvre, comme quelqu’un qui préfère garder le silence.

— J’ai entendu parler de ce que vous aviez fait en Baltique, j’ai interrogé le patron de l’un des navires de commerce que vous y avez délivrés. C’était de la belle besogne, amiral, et quand on pense que vous n’aviez que le Styx.

Bolitho regardait le gris de la mer, il avait envie d’entendre Herrick poursuivre, mais craignait en même temps de troubler le fil de ses réflexions.

— Il me paraît peu probable que les Français aient envoyé une seule frégate pour effectuer cette mission, amiral. Ils doivent savoir que votre escadre s’opposerait à toute tentative de leur part visant à reprendre ces navires marchands et à les conduire en France – il tendait les mains. Mais, par ma vie, je ne trouve pas d’autre raison susceptible d’expliquer ce qu’ils font !

— Le temps et la distance, fit Bolitho en se tournant vers lui, c’est de cela que vous voulez parler ?

Herrick acquiesça.

— Oui, amiral. Je crois que les Grenouilles espéraient attirer votre escadre vers l’ouest pour soutenir la flotte de la Manche et couper la retraite de Ropars si son attaque contre l’Irlande venait à échouer.

Bolitho le prit par le bras.

— Et pendant ce temps-là Ropars se dirige vers le nord, il fait peut-être le tour de l’Ecosse avant de redescendre le long des côtes de Norvège. C’est bien cela que vous avez en tête ?

— Eh bien, euh, fit Herrick en s’humectant les lèvres, je crois que oui, amiral. Ils vont venir au sud – il observait les côtes danoises perdues dans la brume – ici même.

— Et ils espèrent entrer par la porte de derrière, hein ?

C’était trop simple pour être vrai.

— Thomas, signalez à l’escadre de faire route à l’ouest, lui ordonna Bolitho, mettez L’Implacable et La Vigie aussi loin que possible en avant, mais qu’ils restent en contact visuel. Lorsque ce sera fait, revenez me voir avec le pilote. Nous étudierons la carte et confronterons nos idées.

Herrick le regardait, il était soudain moins sûr de lui.

— J’ai peut-être complètement tort, amiral. Cela vaut-il la peine de courir ce risque ?

— Si nous livrons bataille ici, nous serons au vent de la côte. Non, il nous faut les rencontrer au large, si nous devons les rencontrer, en démolir quelques-uns et chasser les autres. J’ai entendu parler de l’amiral Ropars, Thomas, c’est exactement le genre de chose qu’il tenterait.

— Il est un peu comme vous, amiral ? demanda tristement Herrick.

— Pas trop, j’espère, sans quoi il devinera ce que nous avons l’intention de faire !

Bolitho regagna ses appartements, dépassa le fusilier de faction et se baissa d’instinct, comme s’il était encore à bord de la frégate.

Il arpenta longtemps sa chambre, repensant à tous les événements qui venaient de se dérouler en si peu de temps : la chance qu’ils avaient eue lorsque La Vigie avait capturé l’Echo, leur arrivée à Copenhague, l’attaque dans la tempête de neige, les hommes qui mouraient, ceux qui poussaient des cris de joie.

Il entendit d’autres vivats, comme si ses rêveries devenaient réalité. Lorsqu’il regarda ce qui se passait par les fenêtres de poupe, il aperçut le Styx au près, toutes voiles dehors, qui doublait les lents deux-ponts. L’escadre acclamait l’un des siens, un vainqueur couvert de plaies qui regagnait le pays pour se faire réparer et qu’attendait peut-être un retour de héros.

Allday entra dans la chambre et remit le sabre d’apparat dans son râtelier, sous l’autre.

— J’étais un peu mal à l’aise de revenir ici, amiral, mais ça n’a pas duré.

— Le destin est chose étrange, fit Bolitho en haussant les épaules.

Allday se mit à sourire, visiblement soulagé.

— Les gens de Falmouth auraient été fâchés si vous l’aviez brisé, amiral, ça, c’est sûr !

Bolitho alla s’asseoir, il se sentait soudain fatigué.

— Allez me chercher quelque chose à boire, je vous prie – et, souriant doucement : On va arrêter de faire semblant, tous les deux, pas vrai ?

 

Cap sur la Baltique
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